2021 Forêts urbaines

Texte de présentation de Véronique Ribordy, l'Imprévisible 4
Vernissage à la Galerie les Dilettantes à Sion, samedi 20 novembre 2021

Line Marquis a très vite été repérée par le marché de l’art suisse romand (galerie Davel 14 à Pully, Forma à Lausanne, Galerie C à Neuchâtel) et le mérite en revient à des expositions souvent décriées, à savoir les Cantonales. Dans le canton de Vaud, ces expositions existent sous le titre d’Accrochage Vaud, et Line Marquis y apparait régulièrement depuis 2009, l’année même de son diplôme dessin et peinture à la Head (haute école d’art et de design) de Genève.

Line Marquis peint, grave, dessine et est régulièrement exposée dans des contextes variés, que ce soit les cantonales vaudoises ou jurassiennes, des galeries, des centres d’art. Elle apparait aussi dans des expositions muséales, comme récemment à Moutiers, ou en ce moment au Jenisch à Vevey. A moins de 40 ans, elle fait désormais partie du paysage artistique de Suisse romande, en particulier dans le Jura, son lieu d’origine, et dans le canton de Vaud, son lieu d’élection. Le choix des rédactrices de l’Imprévisible permet aujourd’hui de présenter rapidement son travail en Valais, grâce à la complicité des Dilettantes.
Les toiles exposées ont été réalisées après une discussion menée autour du projet de cette édition, sur la forêt. Les éditrices et la peintre y ont parlé de leurs vécus, de leurs lectures, de ce qui a nourri leur approche de la nature. Ces toiles ne relèvent pas vraiment d’une commande, plutôt d’une variation libre sur un thème. Line Marquis y a évoqué la façon dont la forêt nous répare, nous protège, comment elle résiste dans nos villes et nos imaginaires, à la suite des lectures de Richard Powers ou Jean Hegland. Ces images explorent nos relations à l’arbre, posent des questions de résilience, de vitalité (dans le sens de vie, vivant), de ce qui donne de l’énergie, qui nous relie à la terre, qui permet de penser un avenir. Line Marquis a cherché le souvenir de la forêt dans les interstices de la ville, car c’est désormais en ville qu’elle habite, non seulement elle, mais une majorité des humains sur cette planète. Les arbres, les enfants et les valeurs régulièrement attribuées au féminin (le soin, le collectif) sont pour elle des motifs d’optimisme dans un monde souvent injuste, cruel, destructeur. (Il s’agit ici de la face optimiste et réparatrice du monde, alors que la fresque du Jenisch, pour le dessin XXL, présente la version pessimiste, avec une représentation contemporaine de l’apocalypse).
Ces peintures portent aussi la marque d’une discrète érudition. Line Marquis est une lectrice curieuse et éclectique, et une bonne connaisseuse de l’histoire de l’art. On peut rapidement relever plusieurs choses. La manière de collage qui revient souvent dans son travail, collage de motifs, associations d’idées, emprunts, détournements. Le plus évident est l’usage de la couleur, souvent stridente, posée en aplats, un usage qui rappelle les maniéristes italiens, et plus près de nous les peintres nabis et du Blaue Reiter (en particulier Marianne von Werefkin pour l’énergie, l’audace des tons qui claquent, la façon de traiter le paysage en bandes de couleurs fluides). Une couleur qui fait toujours un pas de côté, même quand elle choisit de jouer en sourdine. Line Marquis, c’est aussi un oeil qui repère l’étrange, le bizarre, l’incongru comme ce tag lausannois (détournement quasi iconoclaste de l’Olympia de Manet).
Ce qui frappe enfin dans cette oeuvre, quand on la considère dans sa globalité, c’est l’investissement très fort de la peintresse dans les problèmes de son temps, crise des migrants, désastres écologiques, réflexion sur le genre. Une conscience sociale qui se reflète sur les prix de ses toiles, volontairement bas pour être accessibles au plus grand nombre. Line Marquis peint, grave et dessine, mais surtout elle relie ou relit l’histoire de son art au prisme du contemporain.

Pour chaque oeuvre, il est possible d’écrire plusieurs textes. Une oeuvre, quand elle est pensée et soutenue par une longue maturation, porte en elle une infinité de sens et de possibilités. J’espère que ces quelques clés de lecture vous permettront d’entrer dans le monde de Line Marquis.